Du crottin daté au carbone 14 rend-il plausible le passage d'Hannibal par la Traversette?

Sous ce titre provocateur, voici quelques paragraphes sur un sujet qui a mis en émoi la sphère médiatique le 6 avril 2016, suite à la publication des résultats en mars 2016, dans la revue Archaeometry, d'une étude réalisée en 2015 : par carottage de sol sous le Col de la Traversette, une équipe internationale de chercheurs a prouvé la présence de crottin de cheval datant de l'époque d'Hannibal (il y a plus de 2000 ans), ce qui accréditerait la traversée des Alpes par Hannibal, via le Queyras et la Traversette. Voici donc une belle occasion pour faire un point global sur la Traversée des Alpes par Hannibal et ses éléphants légendaires, et au cas particulier aux études ayant amené à penser qu'il a rejoint l'Italie en passant par le Queyras. Quel crédit faut-il donner à cette légende "urbaine", que l'on entend régulièrement lorsqu'on s'intéresse à la culture et l'histoire du Queyras ? Pour cela, il est nécessaire de se remettre dans le contexte !


 

Au sommaire :

 

Rendons à César, ce qui est à César !

Nous avions entendu parler de cette étude, le camping de la Monta avait notamment un peu lacher quelques infos sur le sujet, Nicolas Tenoux de la Réseve du Viso avait évoqué lors d'une session de comptage chamois à l'automne une nouvelle à venir.

Suite à la parution et le buzz médiatique autours de cette étude (la presse a fait pas mal de lien vers notre page du Col de la Traversette), il s'en est suivi sur notre site pas mal d'échanges interessants dans la page du Tunnel de la Traversette, réagissant au doute que nous émettions sur le passage d'Hannibal en ces lieux pas très facile d'accès. Nous avions promis un article, le temps d'approfondir les choses.

C'était sans compter avec notre échange imprévu avec Mario Falchi, émérite chercheur de l'Université de Milan, et conseiller scientifique du Parc Naturel Régional du Queyras (que nous avions l'habitude croiser sur les sentiers de rando du Queyras -la dernière fois au Col du Lauzon), devant la Maison de l'Artisanat, le jour de l'inauguration des 10 toits photovoltaïques de la Centrale Villageoise Energuil : et la lumière fut ! 

Cet article ne se prétend pas être une analyse historique : il n'a pas d'autre prétention que d'aider le lecteur à comprendre pourquoi Hannibal excite les foules depuis plusieurs siècles, et permettre à chacun de se forger sa propre opinion sur l'hypothèse de la traversée des Alpes par Hannibal et ses éléphants via les cols du Queyras. Nous avons essayer de rappeler le contexte historique, afin de répondre aux questions les plus fréquentes et d'aider le lecteur à se forger sa propre opinion. Attention, le sujet est difficile : plusieurs chercheurs/historiens s'y sont cassé les dents, certains creusent encore le sujet : rendons à César ce qui qui appartient à César (sic) !

 

Les Universités de Toronto/Belfast semblent accréditer un passage des éléphants d'Hannibal par le Col de la Traversette

Bill Mahaney et son équipe internationale d’archéologues (Canada, Angleterre, Irlande, USA, Estonie, France) ont analysé en 2015 une tourbière située sous le Col de la Traversette (voir notre photo principale, c'est là qu'ils ont carotté, c'est bien une "zone marécageuse inondable"), et y ont trouvé des traces de déjections animales, plus exactement des crottins et des traces « extrêmement bien conservées » d’une bactérie appelée Clostridia, que l’on trouve dans le crottin de cheval. Les crottins ont subi une datation qui les ramène justement à l'époque d'Hannibal, preuve selon eux d’un passage massif d’animaux datant de cette époque. Le Col de Traversette (2947 mètres d'altitude) est un point de passage entre France et Italie, situé à proximité immédiate du Mont-Viso, plus haute montagne d'Italie. A noter qu'en dessous de ce Col de trouve le Tunnel de la Traversette (2900mètres d'altitude), première percée transalpine, accessible en mulet et taille d'homme uniquement, mais percé en 1480, et non à l'époque d'Hannibal.

Ces résultats ont été dévoilés le 8 mars 2016 dans la publication Archaeometry, et largement relayée par l'Université de Belfast (Irlande du Nord), avec des interviews multiples de Chris Allen, un microbiologiste de l’Université, qui faisait partie de équipe internationale dirigée par Bill Mahaney (Université York à Toronto)

  • « Maintenant, il semblerait que nous ayons trouvé la réponse – tout cela grâce à la science moderne et à un peu de très vieux crottin de cheval »
  • « Il pourrait s’agir de la première preuve tangible, bien qu’inhabituelle, d’une activité humaine et animale au moment de l’invasion de l’Italie par Hannibal »
  • « Bien que nous ne puissions déterminer de façon conclusive que ces preuves sont liées à Hannibal, les résultats correspondent au passage d’un grand nombre d’animaux et de personnes », sachant que le site est situé à l'écart des grandes voies de transhumance habituelles (quoique !)

Sources anglaises :

Et une petite vidéo :

Dans l'étude, les archéologues ont indiqué qu'il ne s'agissait que d'un simple indice, et que des fouilles complémentaires sont nécessaires (ils s'attendent à retrouver des pièces de monnaie, des boucles de ceinture et des dagues, etc.).  Mais que n'auraient-ils dit ! Les médias, notamment toute la presse nationale française s'est emparée du sujet le 6 avril, y compris la presse scientifique !

 

Mais qui était Hannibal Barca, et pourquoi a-t-il traversé les Alpes ?

Hannibal (Annibal ou Hannibal) Barca est un général carthaginois, qui est s'est fait remarquer lors d'une période importante de l'histoire de la Méditerranée : les guerres entre Rome et Carthage, 2 guerres de dispute des zones d'influence en Méditerranée, qui furent à l'origine de la construction des territoires de l'Italie et de l'Espagne actuelles.

Dans un contexte de revanche (suite à la première guerre punique perdue) et de lutte d'influence entre Rome et Carthage, Hannibal Barca se lance dans une marche rapide en vue de conquérir Rome, avant de prendre la République Romaine au coeur. Partant d'Espagne, il remonte la vallée du Rhône, avant de bifurquer pour passer les Alpes. Le lieu de passage de son armée a toujours fait l'objet de multiples spéculations. Les seuls écrits de ses exploits que l'on ait sont ceux laissés par Polibe, un contemporain d'Hannibal, et ceux de Tite-Live, plusieux centaines d'années plus tard : ces deux textes anciens relatent les exploits des armées d'Hannibal, mais ils n'ont donc pas été écrits à la même époque :
* celui du grec Polybe, 50 années après l'évènement, qui est allé jusqu'à parcourir l'Italie, La Gaule et les Alpes, l'Espagne et l'Afrique, en interrogeant des témoins, et en fait un récit chronologique
* celui de Tite Live, qui a écrit son récit depuis Rome, sur base d'archives de l'époque, mais surtout plus de 220 années après Hannibal (qui avait lui même emmené avec lui 2 historiographes Sosylos et Sinelos).

A cette époque, l'Espagne et la Gaule sont indépendants. Les romains ne maîtrisent qu'un territoire à partir de Pise/Florence, et cherche à contrôler la Sicile/Sardaigne/Corse : la première guerre punique permettra à Rome de contrôler la Sicile et une partie de l'Afrique. Hannibal avait juré à son père Hamilcar "Barca" (la foudre) de détruire Rome et leur impéralisme.

Hannibal, au début de l'automne -218 (premières neiges) avant Jésus-Christ, cherche à rejoindre Rome pour renverser l'autorité de Rome. D'après Polybe, il serait parti d'Espagne (Carthagène/Sagunte) vers le 10 juin avec une énorme armée de 50 000 hommes, 9 000 chevaux, 4000 bête de charge (NB : A noter qu'une légion romaine compte 6000 hommes, mais le nombre exact de ses troupes fait débat, nous n'avons pas trouvé un chiffre identique, selon que l'on compte l'armée de départ ou les ralliements).

Il traverse le Rhône (il lui faudra 6 jours pour faire traverser ses troupes) le 9 octobre, puis passe un col où il séjournera pendant 2 jours pour faire reposer ses troupes, avant de descendre dans la plaine du Pô, après 5 mois et demi de marche, mais en ayant perdu plus de 50% de ses hommes (là aussi les chiffres font débat).

Après quelques semaines de repos dans la plaine du Pô, Hannibal bat les Romains à Trasimène en -217, puis à Cannes en -216, mais se fait enfermer à Capoue, et ne peut prendre Rome faut de renfort. Rappelé en Afrique, il se fait battre à Zama, et Carthage est détruite. Hannibal est défait et se retirre en Orient (Bithynie) où il s'empoisonne pour échapper aux romains

Au final donc, Hannibal, malgré plusieurs victoires impressionnantes, ne réussira pas à renverser Rome, bien plus puissante militairement. Mais ses tactiques / techniques militaires innovantes lui valurent le titre de "Père de la Stratégie Militaire", et inspirèrent bien des armées sur les siècles suivant, à commencer par celles de Rome.

D'autres ressources en ligne : Hannibal dans les Alpes, Hannibal le Carthaginois

Et nous avons détaillé ci-dessous pour les curieux les guerres puniques. Le lecteur rapide "zapera" ce paragraphe historique détaillé.

 

Hannibal à travers les Alpes : des écrits, des peintures, des films et de la fiction !

Depuis plus de 2000 ans, cette traversée a été mainte fois étudiée (il y aurait plus de 1000 ouvrages sur le sujet), mais aussi reproduite en peinture.
Hannibal est un véritable héro antique, les peintures les plus fréquemment citées sont celles du 17,18, 19ième siècles suivantes :

  • Hannibal vainqueur contemple pour la première fois l'Italie depuis les Alpes de Francisco, de Goya (1770)
  • Hannibal traversant les Alpes, de William Turner (1812)
  • Hannibal traversant les Alpes à dos d'éléphants, de Nicolas Poussin (1625/1626)

https://fr.wikipedia.org/wiki/Passage_des_Alpes_par_Hannibal

De nombreux films-fiction/historiques ont été tournés sur Hannibal, notamment une fiction de France3 :

Bref, Hannibal a été ancré siècles après siècles dans l'inconscient collectif, et est devenu un mythe voire une star : l'homme courageux, le petit qui résiste au faible, le rusé contre le fort, le sud qui resiste au nord, etc...

 

Les guerres puniques :  une tranche d'histoire importante pour la Méditerranée et l'Europe

Avant de revenir à nos chercheurs de Toronto/Belfast et leur découverte à base de crottin, arrêtons-nous quelques instants pour comprendre cette importante tranche d'histoire, où Hamilcar et Hannibal Barca rentrèrent dans l'histoire de toute la Méditerranée. Ces guerres puniques se situent entre -264 et -149 avant Jésus-Christ, il y a près de 2300 ans : Rome et Carthage se sont livrées à de terribles guerres pendant plus d'un siècle.

Ce conflit est si terrible que plusieurs moments héroïques sont restés dans les esprits : la bataille finale de Zama, Scipion l'Africain, la bataille de Cannes et la Traversée des Alpes d'Hannibal avec ses éléphants. Rome finira par vaincre, et sortira du conflit affaiblie avant de poursuivre sa domination.

Voici un rapide résumé néanmoins, compte tenu de l'importance de cette tranche d'histoire.

 

La République Romaine et les commerçantx Carthaginois : à la recherche de l'hégémonie sur le commerce méditerranéen

Entre -508 avant J.C et le début de la première guerre punique en 264, Rome mène de sévères batailles pour s'emparer de la plupart des territoires de l'Italie actuelle.

Avant -508, l'Italie actuelle est composée de plusieurs peuples : les gaulois dans la plaine du Pô, les Etrusques entre Rome et la plaine du Pô. L'Italie du Sud (Botte et Sicile) est sous influence grecque. L'Italie centrale est occupée par plusieurs peuples latins (Volsques, Marses, Èques, Sabins, Samnites), et c'est autour d'eux que va se fonder la citée de Rome, dans la plaine fertile de Latium.

Rome est d'abord dirigée par une monastie etrusque (les Tarquins), avant que l'aristocratie locale ne se souleve en -508 et ne fonde la République romaine. Rome est en réalité une oligarchie qui se cache derrière le nom de République : la noblesse patricienne issue de l’ancienne noblesse royale est aux affaires et détient les terres. La plèbe constitue le reste de la population, et progressivement apparaît - avec l'essor économique - une troisième classe "la nobilitas" (la noblesse), formée de l’alliance de patriciens ruinés avec de riches plébéiens (ils formeront ultérieurement l'élite sénatoriale).

Carthage de son côté est un véritalbe empire maritime : c'est d'abord une ville comptoir fondée par les Phéniciens de Tyr (au Liban actuel) : cette citée aujourd'hui détruite se situe à proximité du Tunis actuel, sur la route commerciale qui longe les côté d'Afrique du nord, et elle permet de contrôler le détroit entre la péninsule tunisienne et la Sicile. Les phéniciens contrôlent

Le développement des échanges et les victoires de guerre amènent Carthage à contrôler progressivement le Sud de l'Espagne (et les îles Baléares), la Sardaigne/Corse, Chypre, Malte et le Sud de la Sicile (une partie autour de Syracuse est dominée par un tiran). Leur zone d'influence est considérable : tout l'Ouest de la Méditerranée, les côtes nord-africaines. Carthage est la plaque tournante du commerce en Méditerranée occidentale

 

L'alliance Rome/Carthage de -509

En -509, Rome et Carthage signent un traité pour se définir les zones d'influence des deux cités. Les deux cités s'entre-aident même dans les guerres (notamment lors du conflit contre Pyrrhus, le roi d’Épire, royaume situé de l’autre côté de l’Adriatique, en -278). L'accord de partage des zones sera renouvelé/réfini à plusieurs reprises avant que n'éclate un conflit en -264.
La guerre contre Pyrrhus permet à Carthage de prendre le contrôle de la Sicile, à Rome de contrôler totalement la botte italienne. Mais Rome lorgne sur le détroit de Messine (entre Sicile et Botte italienne).

 

L'enjeu sicilien : le contrôle du détroit de Messine et les luttes d'influence, genèses des guerres puniques

Entre -600 et -265, la Sicile est la proie de combats pour sa maîtrise, elle est partagée entre zone Carthaginoise et zone de Syracuse : Syracuse est contrôlée par le tyran Agathocle, qui souhaite prendre possession de la totalité de la Sicile. Il cherche à évincer Carthage de l'île, mais finira par perdre, abandonnant par la même occasion son aura de première puissance de Méditerrannée.

A la mort du tyran Agathocle en -289, d'anciens mercenaires (qui se faisaient appelé les Mamertins  - serviteurs du dieu Mars - dieu de la guerre) prennent le contrôle de Messine. Le nouveau tyran de Syracuse Hiéron II décide d'en reprendre le contrôle. Les mercenaires demandent de l'aide à Carthage qui dispose de troupes dans la ville, et répoussent ainsi Hiéron, qui ne réussira pas à prendre contrôle de Messine.

Les mercenaires ne souhaitent pas pour autant rester sous la tutelle de Carthage : ils demandent à se placer sous l'aîle de Rome, par une "deditio in fidem" : la cité remet son destin entre les mains d'une puissance étrangère en l'échange d'un appui militaire contre l'énnemi, remettant l'intégralité de ses biens, et territoires au peuple romain.

Rome hésite, prendre le contrôle de Messine et de son détroit serait un autour considérable (c'est le carrefour commercial le plus important de la Méditerranée occidentale), mais elle s'est engagée à ne pas intervenir militairement en Sicile. D'un autre côté le "deditio in fidem" de Messine est un acte sacré, et il ne faut pas bafouer les dieux (et les intérêts  économiques et commerciaux !).

 

La première guerre punique (-264 à -241 avant J-C)

Au final, Rome apporte son soutien à Syracuse, et envoie une armée pour secourir les Mamertins en -264, déclenchant la première guerre punique, qui durera 23 années. Rome s'empare de la ville lors de bataille de Messine, puis force Herion à se retirer, Syracuse devient romaine. S'en suivent plusieurs batailles navales, et une vaine tentative de Rome de s'attaquer à Carthage.

En -247, un grand général carthaginois Hamilcar Barca avait débarque en Sicile, et mène la vie dure aux Romains, reprenant une grande partie de l'Ouest de l'île. Mais suite à une cuisante défaite de la flotte carthaginoise lors de la bataille des Egades perdue (port de Lilybée), Carthage est contrainte à abandonner à Rome la totalité de la Sicile.

A l'isssue de cette première guerre punique, Rome a réussit à briser la toute puissance carthaginoise en Méditerranée occidentale. Carthage accepte de signer la paix en -241, et se voit imposé une lourde indemnité de guerre.

 

L'entre deux guerres : l'influence grandissante d'Hamilcar Barca, et l'augmentation du ressentiment anti-romain

Une période paix entre Carthage et Rome s'en suit. Rome aide même Carthage lors de la guerre des Mercenaires (-241 à -238), tout en violant traité de paix en prenant possession de la Corse et de la Sardaigne, ce qui exacerbe les animosités vis à vis de Rome.

Suite à la paix, les mercenaires ayant aidé carthage ne peuvent espérer un butin, et la lourde indemnité imposée par Rome à Carthage provoque une grave crise économique. Rome aide Carthage, mais la maîtrise de la révolte des Mercenaires revient à Hamilcar Barca, le père d'Hannibal. A coup de ruses stratégiques, il réussit à tuer la révolte, et à écraser les insurgés grâce à ses éléphants. De violentes exactions sont observées de part et d'autre, pour ne pas dire atrocités. Hamilcar met fin à l'insurection, puis gagne en influence ce qui inquiète le pouvoir de Carthage : il est envoyé au loin en -237 pour conquérir l'Ibérie, dont il fera un royaume à son nom. Hannibal, lors du départ de son père pour l'Espagne, lui promet de ne jamais pactiser avec les Romains.

Hamilcar décédera avant d'achever la conquête de la péninsule et meurt au combat. Son gendre Hasdrubal le Beau lui succède : il conclue des alliances avec les chefs indigènes et fonde la nouvelle Carthage (Carthagène), et signe en -226 un traité avec Rome pour délimiter les zones d'influences avec comme frontière l'Ebre. Il est remplacé à sa mort en -221 par le fils d'Hamilcar : Hannibal Barca, qui réussira à unir toutes les cités au sud de l'Ebre.

Rome a aussi ses propres soucis : des conflits avec la Gaule cisalpine, celle-même qui est dans la plaîne du Pô. Rome finira par s'emparer de ce territoire et ainsi repousser ses frontières jusqu'aux Alpes. Les dernières tribus gauloises sont vaincues en-220. Rome construit alors des routes afin de faciliter son implantation. Il sécurise aussi son commerce maritime depuis le Grèce en maîtrisant l'Illyrie, de l’autre côté de la mer Adriatique ( aujourd’hui les côtes albanaises et croates), devant voisin du royaume de macédoine et donc des cités grecques. La culture romaine s'héllénise.

 

La seconde guerre punique : la naissance du mythe d'Hannibal Barca

Le sentiment de revanche plane, et une citée, située sous l'Elbe, fait renaître le conflit : Sagonte. Située à 160km au sud de l'Ebre, elle est multi-culturelle, séparée en 2 clants : les pro-romaines, les pro-carthaginois. Vers -220, les pro-romaines organisent le massacre des pro-carthaginois dans cette citée située dans la zone d'influence carthaginoise. Hannibal intervient, encerclant / assiégant la ville qui finit par tomber au bout de 8 mois : la ville est ensuite détruite. Ce épisode provoque donc, en -218, la déclaration de la 2ieme guerre punique, sur fond de revanche de la première.

Rome décide d'attaquer Carthage sur deux fronts : en Hispanie et en Afrique du Nord. Mais c'était sans compter la stratégie d'Hannibal : celui ci avait amassé des troupes, attendant le bon moment pour marcher rapidement vers le Nord et atteindre le coeur de l'Italie avec pour cible Rome. Au lancement de la guerre, les forces sont inégales : Rome peut mobiliser un nombre beaucoup plus important de troupes, compte tenu de la taille de sa zone d'influence. Hannibal se lance avec une armée de 102 000 hommes selon Tite Live (90 000 fantassins et 12 000 cavaliers) [NB moins selon d'autres sources (50 000 fantassins, 6 000 cavaliers et 200 éléphants, certains parlent de 27 éléphants seulement] dans un Raid de 1500 km, mené en 5,5 mois d'Espagne en Italie en passant par le Rhône. Il arrivera avec un peu plus de 20% de ses effectifs de départ.

Malgré l'infériorité, Hannibal compte sur la stratégie, sa rapidité, sur des alliances avec des tribus gauloises et celtibères, et un ralliement sur les tribues déçues et autres révoltés de Rome, dont le porte drapeau est la ville de Capoue dans le sud de l'Italie. Rome tente de réagir, comptant porter la guerre en Afrique et repousser les carthaginois hors d'Espagne. Mais Hannibal a réussi à arriver à proximité de Turin, descend par plusieurs batailles jusqu'à Cannes puis Capoue. Mais Rome finira par l'acculer à Zama en -202, où il sera battu. Il est obligé de signer le traité de paix avec Rome en -201, et il se retire pour devenir un homme politique à Carthage, avant de partir en exil. Rome étend son emprise sur le monde grec et sur l'Asie, Carthage est en sursis.

 

Mais diantre pourquoi Hannibal a-t-il passé les Alpes avec des éléphants ?

Les éléphants de guerre ont énormement été employés durant l'Antiquité. Si les premiers utilisateurs de ces pachidermes au combat militaire semblent avoir été les Asiatiques et Indiens, il semble qu'Alexandre le Grand ait démocratisé leur usage en Occident/Méditerrannée (-326 avant J-C), ayant à subir des déconvenues face à des adversaires qui en étaient munis. Les Chinois les utilisaient aussi.

Il existe plusieurs types d'éléphants :

  • Elephant Africain des forêts : le plus petit, c'est celui qui sera utilisé par Hannibal lors de son franchissement des Alpes
  • Elephant d'Asie, utilisé par les Perses et les Indiens (2 à 3,5m)
  • Elephant Africain des Savanes (4mètres, 7 tonnes), impossible à domestiquer

L'éléphant est imposant, puissant, peut courir jusqu'à 30km/h lors des charges, a une durée de vie longue ( jusqu'à 40 ans, sachant qu'il peut vivre jusqu'à 80 ans), et dispose d'une forte capacité de portage. L'éléphant d'Asie peut même être muni d'une tour de combat pour archers.

Pour les armées, c'est un investissement rentable : il dure, terrorise l'ennemi en raison de sa taille/poids et du bruit lorsqu'il court, il effraie les chevaux qui craignent son odeur et ses cris. Bref, un véritable char-d'assaut / machine de guerre avant l'heure. Les éléphants sont habituellement employés car ils sont efficaces face aux fantassins, en plaine. Mais ils sont peu rompus aux marches en montagne, a fortiori en hiver sous la neige !

Hannibal est donc parti d'Espagne avec un petit groupe d'éléphants, chacun étant monté d'un ou plusieurs combattant à califourchon, ou muni de dispositifs de portage (les réserves de l'armée). Le nombre d'éléphant au départ n'est pas connu, mais on sait qu'il a franchi les Alpes avec seulement 37 éléphants (plus exactement 37 éléphants ont traversé le Rhône, certainement que quelqu'une périrent en cours de route), mais que tous moururent de froid en Italie au solstice d'hiver, après la bataille de La Trébie : peu survécurent donc.

Ils furent utilisés au combat jusqu'au Moyen-Age en Occident (même Charlemagne les utilisa pour imposer sa toute puissance !), et même jusqu'au 19ieme en Asie

Pour en savoir plus, se référer à aux commentaires de celui-là.


 

Par quel col Hannibal est-il passé lors de sa traversée des Alpes pour rejoindre l'Italie ?

Beaucoup d'études ont été réalisées pour déterminer le lieu de franchissement des Alpes : le passage d'Hanibal a été envisagé en Savoie, en Isère ou en Provence. Et on ne parle pas des études réalisées en Italie en ce qui concerne ses lieux de passage dans la plaine du Pô.

Le passage d'Hannibal est évoqué en France aux cols du Saint-Gothar, du Petit ou Grand Saint-Bernard, le Mont-Cenis, le Mont-Génèvre, le Clapier, etc.

" Sur les 90 solutions déjà proposées en 1835, 33 auteurs se prononçaient pour le passage au Petit-Saint-Bernard. 24 pour le Mont-Genèvre, 11 pour le Mont-Cenis, 3 pour le Mont-Viso.[...] Napoléon, comme d'autres commentateurs dont on retrouve les noms sur différentes propositions, a varié dans son opinion: en 1796 il se prononçait catégoriquement pour le Vise; à Sainte-Hélène, il inclinait pour le Cenis." (source)

Même la RN93 reliant la Drôme à Gap, via Livron et Aspres-sur-Buech, a été nommée les organismes touristiques « route Hannibal » ! C'est dire l'enjeu pour chacun de revendiquer le passage du téméraire Hannibal Barca !

En 1896, tel que le rapporte Edouard Begou, Louis Hyppolite Montlahuc publie "le vrai chemin d'Hannibal à travers les Alpes", et le fait emprunter les voies romaines pour rejoindre l'Italie, via le col de Montgenèvre : il rend crédible un passage par la Durance, avec analyse métrique et temps horaires sur base des écrits de Polybe/Tite-Live (mais on sait que ces récits sont un peu brodés...).

Vous pouvez retrouver les hypothétiques cols de passage des Alpes discutés depuis de nombreux siècles, avec une cotation de la probabilité de passage dans cet excellent billet. On voit bien que la Traversette n'est pas dans les hypothèses les plus probables, et que le Montgnèvre l'emporte.Mais seules des fouilles archéologiques, avec découverte d'ossements ou de traces réelles, pourront confirmer un jour le lieu de passage. Des fouilles ont déja eu lieu en Espagne, avec succès semble-t-il.

 

Le passage d'Hannibal dans le Queyras et par la Traversette, une vaste supercherie ?

Nous nous en étions fait echo dans la présentation du Tunnel et du Col de la Traversette : compte tenu de la topographie des lieux, il nous semblait bien compliqué de faire passer une armée là-haut. Un passage par le Col Lacroix (qui plus est "grande voie commerciale historique pour rejoindre le Piémont depuis la France"), ou par le Col Agnel, bien plus large, aurait été bien plus simple. D'autant plus que l'on a aussi dans le Queyras le Rocher d'Hannibal, dans la vallée de l'Aigue Agnelle (Molines). Serait-il passé à plusieurs endroits? Où une mythologie s'est-elle mise en place, façon légende du monstre Loch Ness: toujours observé, jamais accrédité ?

Nos (très rapides) recherches ont montré que plusieurs points de passage dans le Queyras ont été évoqués : le Col Lacroix (1840), le Col de la Traversette(1974),  le Col Malaure (en 1994). Ces points ont pour caractéristique de donner une belle vue sur la vallée du Pô, tels que le narrent Tite-Live ou Polibe.

Regardons un peu qui a accrédité pour la première fois le passage d'Hannibal par la vallée du Queyras, pour traverser les Alpes avec ses éléphants et rejoindre ainsi l'Italie.

Après un peu de recherche, il apparaît que M. Imbert-Desgranges semble avoir été le premier à reorienter le tracé pour le faire passer par Guillestre et le Queyras (Col Lacroix), en mettant en avant la date du 10 novembre (date de déclin de la constellation des Pleiades). Il détaille le passage d'Hannibal par le Queyras et plus précisement par le Col Lacroix : sa présentation a été effectué le 7 Août 1840 à l'Académie Delphinale de Grenoble et publiée 7 Août 1846 dans le Bulletin Académie Delphinale. On trouve à la Bibliothèque de France en ligne (Gallica) le document de synthèse de l'Académie, mais malheureusement par le détail. Cependant on observe que Imbert-Desgranges détaille de manière assez précise les horaires de passage, les lieux. Mais comment pouvait-il avoir tant de détails, sachant que ni Tite-Live ni Polibe n'allaient a priori pas si loin ? Certes il a cherché à aligner la topographie aux écrits de Tite-Live et Polibe, mais en l'absence de l'exposé complet, cela semble bien léger. Or on sait qu'à cette époque, le tourisme se développe (ah les premiers alpinistes anglais), et que la tentation est grande de romancer les découvertes, comme nous l'avons déjà évoqué dans Les Ascensions Oubliées des Officiers Géographes (comment on apprend que le Viso a été gravi bien avant les premières ascensions officielles des Anglais) : les "lofty summits" attiraient, et si une petite fable sur Hannibal ne pourrait qu'aider quelque peu le développement économique?

Le célèbre Général A.Guillaume a aussi écrit sur le sujet, dans son ouvrage «Annibal franchit les Alpes» paru en1967. Concernant le col de la Traversette ce général écrit: «Du coté français, ce col est accessible du fond de la vallée du Guil par un sentier facile, remontant des pentes gazonnées et traversant des cuvettes dans lesquelles jaillissent des sources abondantes, bivouac idéal pour pour d'importants effectifs.Avant d'atteindre le col, ce sentier traverse plusieurs barres rocheuses, puis longe sur quelques centaines de mètres, dans des éboulis, la face sud d'une falaise abrupte.»

Ensuite, on trouve qu'en 1974, le biologiste britannique Gavin de Beer avait affirmé qu'Hannibal était passé par le col de la Traversette, mais aucune preuve tangible n'était encore venue le confirmer : la communauté scientifique était restée dubitative. Ces recherches britanniques de 2015 pousseraient-elles à accréditer cette thèse britannique de 1974?

Enfin, pour le Col Malaure, nous ne sommes pas encore allé voir le document de Jean-Pierre Renaud (1994), ni sa thèse ("Itinéraire transalpin d'Hannibal ; énigme et résolution géographique, Tunis, 2013). Nous creuserons ces deux pistes et compléterons notre article ultérieurement.

Dans les 3 cas, pourquoi Hannibal se serait-il embêté à passer les Gorges du Guil (pas de route à l'époque), alors que le Montgenèvre est bien pratique d'accès? Si il avait choisit le Queyras, la route du Col Lacroix est plus naturelle, bien plus large, ce n'est pas pour rien qu'elle a été pendant de nombreux siècles la route d'échange principal entre France et Piémont (cf carte Cassini)...

En ce qui concerne les résultats de cette équipe anglophone, plusieurs points sont discutables/ discutés :

  • Les datations des extraits de tourbières ont été réalisées en Lituanie (certainement pour des raisons de coût, mais ces universités anglo-phones ne possèdaient-elles pas les équipements nécessaires?), et publiées tardivement.
  • Les résultats obtenus sont discutables voire incertains ou lacunaires : le passage des animaux (pachydermes, équidés) serait prouvé par la présence de bactéries du genre Clostridium .Or ce type de bactéries, s'il participe en effet à la flore digestive des herbivores, participe également au processus de pourriture en l'absence d'oxygène, comme cela s'observe justement dans les tourbières. Par ailleurs leur recherche coté herbivore a concerné exclusivement le cheval et a ignoré celle, à tous égards beaucoup plus probante, sur l'éléphant.Sur les conclusions afférentes aux prélèvements et carottages dans la tourbière, Robert Fabreguettes de son coté, signale des points largement contestables.
  • Ce groupe d'anglophones mène des études sur le sujet en altitude depuis 2011, sans que celles-ci aient été duement autorisées. Pour ce qui est des prélèvement 2015, ceux-ci ont été effectué aussi côté italien mais l'équipe a été délogée par les autorités italiennes.
  • L'équipe a mis en avant le fait que depuis 2011, le site de la Traversette est reconnu comme lieu probable du regroupement/remise en forme de l'armée carthaginoise, avant le franchissement des Alpes. Cette étude est semble-t-il inconnue, nous n'en avons pas trouvé trace.

Pour l'été 2016, des fouilles archéologiques pompeusement intitulée "projet scientifique et médiatique sur les traces d'Hannibal en Queyras" étant nécessaires,  le process d'autorisation n'a pas été respecté pour cette campagne (demande hors délai, à faire auprès du Service Régional de l'archéologie PACA/Ministère de la Culture à Aix en Provence, et validée par un archéologue français), ce qui semble expliquer le refus du Parc : il n'est pas compétent en premier lieu pour valider ce type de travaux.

Enfin, les résultats de 3 autres carotages devraient être publiés dans les semaines qui viennent. Il y a feuilleton !!!

Nous restons dubitatifs et renvoyons aux recherches effectuées par Robert Fabreguettes (cf commentaires de notre page sur le Tunnel de Traversette) et aux autres analyses critiques qui ne tarderont pas à être publiées. Une discussion directe avec lesdits chercheurs serait aussi bénéfique. Le sujet est complexe, surtout qu'on se situe près de 2300 ans après les faits. Il faudrait aussi faire le lien entre les études côté italien (il doit y en avoir) et celles côté français. Bref, nul doute que la persévérance des historiens et chercheurs en herbe finira par payer, mais le bon sens voudrait qu'Hannibal, venant d'Espagne, ne se complique pas la vie. Le Col de la Traversette est on ne peut plus étroit, et la descente côté Italie bien trop scabreuse (cf notre photo) pour des pachidermes, ne fussent-ils que quelques-uns ou bien expérimentés ! Hannibal et le Viso, c'est idéal pour les cartes postales (et le tourisme) !

 

Bref, l'hypothèse du passage par la Traversette paraît bien fumeuse. Le Conseil Scientifique du Parc Naturel Régional du Queyras vient de refuser - début juin 2016 - la réalisation de fouilles archéologiques en bonne et due forme. A suivre, le sujet passionnant de la Traversée des Alpes par Hannibal mériterait une thèse complète, un livre de synthèse, et un vrai film basé sur des faits averés !... En attendant, vous pouvez vous contenter de rêver voir être réactivé le Challenge Hannibal (une belle course Trail) dans les années qui viennent, ou bien aller vous faire une idée sur place au Col via une très belle randonnée grâce à nos topos (Col de la Traversette qui vous permettra de découvrir la première percée transalpine aka le Tunnel de la Traversette), ou encore apporter votre contribution à ce rapide article qui défriche la problématique, en toute humilité, en ajoutant un commentaire ci-dessous ! Nous l'améliorerons dans les semaines qui viennent.